Critique du film Darwin's nightmare
Genre: documentaire
Origine: France, Belgique, Autriche
Réalisateur: Hubert Sauper
Durée: une heure quarante-sept minutes
Il était une fois un inconnu un apprenti sorcier apparemment qui déversa, dans les années cinquante, quelques perches du Nil (un carnassier vorace également appelé «capitaine») dans le lac Victoria, la deuxième plus grande étendue d'eau douce de la planète et véritable laboratoire naturel pour l'étude biologique. Effet domino: cinquante ans plus tard, la perche a proliféré, au détriment cependant de l'écosystème qui se trouve complètement modifié. En manque d'oxygène, envahi par les algues, le lac (sans parler des riverains) meurt à petit feu et ne devrait pas survivre au-delà de 2050. Darwin cauchemarde.
A qui profite le crime? Aux nantis comprenez les Occidentaux friands des tonnes de filets de perches exportées par une industrie florissante qui s'enrichit sur le dos des pêcheurs tanzaniens à qui elle abandonne... les arêtes. Le crime est double en fait: les transporteurs aériens qui emmènent le capitaine comestible n'arrivent pas les soutes vides. L'ombre du commerce des armes notamment se profile, alimentant la folie guerrière d'un continent déjà dévasté.
Un manque de rigueur
Darwin's nightmare est un documentaire dont la force n'a d'égale que la honte que tout individu qui se respecte ressent face aux laissés pour compte tanzaniens, aux prostituées, aux malades du SIDA ou aux enfants des rues, tous victimes de la gloutonnerie occidentale. Le réalisateur s'est engagé, humblement (loin donc de la «méthode» Michael Moore), dans une collecte de témoignages et d'images accablantes (souvent de mauvaise qualité) qui, en fin de compte, forment un tout assez cohérent. Même si, emporté par sa compassion et des conditions de tournage pour le moins rocambolesques, Hubert Sauper s'égare quelquefois en chemin et tarde à mettre le spectateur sur la voie de la compréhension globale de la problématique.
Ainsi, les explications sur le rôle vital que joue le lac dans la région sont fragmentaires et le film, c'est un regret, manque de la rigueur journalistique qui lui eut permis de dépasser le stade du label «un certain regard» pour revendiquer celui plus crédible encore d'enquête fouillée et argumentée. En effet, s'il s'évertue à filmer et à interroger les Tanzaniens qui «crèvent» (au sens littéral) au bord du lac, le réalisateur omet de signaler, par exemple, combien survivent «grâce» aux industries qui ont fleuri dans la région. L'objectivité lui imposait de ne pas s'intéresser qu'aux désastreux effets collatéraux.
Des critiques qui n'enlèvent rien à la valeur d'un documentaire qui recèle de moments parfois surréalistes. Ainsi, lorsque des représentants de l'Union européenne congratulent les autorités tanzaniennes pour la qualité de leurs infrastructures industrielles... du meilleur niveau «international». A dix mètres de là, hagards, les crève-la-faim zonent et des enfants sniffent la colle obtenue en faisant bouillir les déchets d'emballage des poissons. Un cauchemar.
Ma cotation: *** (Un exemple frappant parmi d'autres de l'incroyable agonie de la race humaine.)
Léonard Bovy
Ma grille de cotation:
0 Nul, à éviter
* Bien, sans plus
** Mérite d'être vu
*** A ne pas rater
**** Chef-d'uvre